« Ce que j'ai à dire sur le Docteur Polivanov? Trop de choses. Je travaille avec elle depuis six mois et je l'observe presque tous les jours dans son milieu naturel et je peux vous dire que parfois, elle me fait froid dans le dos, elle donne souvent l'impression de parler toute seule et elle reste des jours sans sortir de ce bureau secret dans lequel personne n'est jamais rentré à part elle. Mais on sait tous qu'il s'y passe des trucs louches, on voit des cadavres y entrer, des cobayes en sortir totalement catatonique... Elle doit leur faire des trucs terribles pour qu'ils ressortent tous à moitié morts de son labo... Et puis les cadavres à quoi ça peut bien lui servir? Elle est censée étudier la technologie et ok, la biologie aussi, mais elle devrait avoir besoin d'échantillons de sang au cas échéant, pas de trois cadavres par jour.... Et puis je les ais vu ses cadavres après qu'elle leur soit passée dessus, elle les as autopsié je vous dis, et elle leur a même pris des organes et souvent carrément des morceaux de leurs squelettes... Elle est glauque cette gamine. Et puis c'est quoi cette manie d'avoir réponse à tout? C'est pas parce qu’elle a obtenu plus de doctorats que moi en deux fois moins de temps qu'elle peut se permettre de me donner des ordres. Elle aurait dû être viré de la Hammer depuis longtemps, après tout tout le monde sait qu'elle a travaillé pour le SHIELD et que sa sœur est une mutante emprisonnée pour un crime dont on ignore tout... Elle est pas ici que pour s'amuser avec le budget pharaonique qu'on lui donne, ça doit être une espionne qui essaie de nous ralentir, cette fille devrait être surveillée et contrôler c'est tout... » Tu rentres dans la pièce, toi, le Docteur Sherli Polivanov, tu lances à peine un regard à cette femme qui pourtant quelques secondes auparavant semblait intarissable sur ta façon d'être. À présent, elle baisse les yeux, fuit ton regard et ne dit pas un mot, comme paralyser. L'autre femme commence à lui parler lorsque tu sors de la pièce pour entrer dans ton propre labo secret, interdit aux imbéciles, donc à tout le monde. « Bien sûr que non j'ai pas peur de cette gamine... C'est juste que... Je l'ai entendu parler un jour... Elle connait exactement cent cinquante-deux façons de tuer quelqu'un sans laisser de traces et je préfère pas qu'elle teste une de ses façons sur moi. Et puis pourquoi elle a toujours des plâtres ou des béquilles, y'en a qui disent qu'elle se mutile elle-même! Elle est glauque cette gamine, ça pourrait être tout aussi bien une tueuse en série qu'elle agirait pas différemment de maintenant. »

Tu es tant aimé par tes collègues. Ironie bien sûr. Il faut dire qu'au début, tu ne faisais pas grand-chose pour que ça change et aujourd'hui, ça ne semble pas facile de modifier les vieilles habitudes. Tu ne parles presque à aucun d'entre eux, surtout pas les pseuso-scientifiques, tous bien moins intelligent que toi, ce qui t'agace fortement. Quant aux autres, ben, vous n’avez pas grand-chose en commun, alors de quoi parler? Du dernier cadavre que tu as disséqué avec cette lumière dans les yeux, ce regard qu'ont les enfants lorsqu'ils ouvrent leurs cadeaux de Noël? À moins de vouloir passer pour une sociopathe, mauvaise idée. Leur parler de l'évolution du projet Ex-Machina sur lequel tu travailles depuis si longtemps? Ils n'en comprendraient pas la moitié. Alors quoi? De quoi parler avec le commun des mortels? Tu ne l'as jamais su et tu ne le sauras sans doute jamais. Tu essaies pourtant de faire des efforts, tu as fait une étude sur le sujet et d'après le résultat de tes recherches une meilleure entente avec tes collègues pourrait apparemment augmenter ton efficacité de presque vingt-six pour cent. Tu es une femme de chiffres et si les chiffres disent que ton rendement serait meilleur avec de bonnes relations, alors ainsi soit-il. Tu as d'ailleurs tout préparé pour le coup, tu as un petit carnet avec des sujets à aborder, des sujets simples et pouvant plaire au simple d'esprit, égocentrique? Pas du tout. Réaliste. Tu sais que ce qui te plait ne plait que rarement aux autres. Tu as même noté quelques blagues trouvés sur le net, une liste de plaisanteries qui ne te font pas souvent sourire, mais qui, apparemment, pourrait divertir tes collègues. Tu as besoin de tout préparer, de tout anticiper, même les gestes les plus simples, alors assis à côté de tes camarades, tu les écoutes parler tout en déjeunant, ils ont d'ailleurs semblé à la fois surpris et effrayés par ta soudaine présence, mais tu avais prévue cette réaction, tu n'en es pas vraiment offusqué. Ton petit calepin à côté de toi, tu poses parfois tes yeux dessus, essayant de capter des sujets que tu pourrais lancer pour gagner leur affection ou en-tout-cas, atténuer leur indifférence à ton égard. Tu as une mémoire eidétique, pourtant, tu ne peux t'empêcher de garder ce petit bloc-note à porter de main, comme pour te rassurer. Pour le moment, tu ne dis rien, tu écoutes, jusqu'à ce que le sujet de la religion soit abordé. Tu grimaces. Ils sont censés être des scientifiques, et pourtant plusieurs d'entre eux parlent de leur dieu comme s’il s'agissait d'une vérité absolue. Tu sens l'échec pointer le bout de son nez. Toi-même tu viens d'une famille beaucoup trop pratiquante à ton goût et dès tes plus jeunes années tu t'étais mis à détruire les croyances de tes parents, blasphémant presque naïvement sans voir le mal derrière tes paroles et tes actes, un peu comme aujourd'hui en fait. Tu te souviens encore de la colère de tes parents lorsque tu as cité Nietzsche, « dieu est mort » disait-il , tu avais alors pensé à haute voix « comment pourrait-il l'être, vu qu'il n'existe pas? » . Pauvre mamie avait failli faire une crise cardiaque face à ses paroles. Ils t'ont obligé à aller prier et à te confesser à l'époque, tu n'as pas compris le principe et honnêtement, tu ne le comprends toujours pas. « Et toi, tu es de quelle confession? » C'est à toi qu'il s'adresse. En règle général, ton cerveau marche plutôt vite, tu réponds au quart de tour, là, tu hésites, perdu dans tes pensées. Tu restes ainsi quelques minutes avant que l'un d'entre eux tente d'attirer à nouveau ton attention, surpris par ta soudaine catatonie. « Désolée, j'essaie de calculer les probabilités qu'il y a pour vous de quitter la table si je dis que Dieu n'existe pas et que la religion n'est que du fanatisme créer autour de la peur de la mort par les simples d'esprits... » Bingo. Il ne fallut que quelques secondes à deux d'entre eux pour quitter la table, offusqué par tes paroles, le dernier, surement moins croyant, s'en alla tout de même, un sourire gêné, prétextant un travail à finir, désireux de suivre le mouvement plutôt que de rester sur le banc des parias.

Tu n'es pas mutante. Tu n'es pas muté. Ou même un quelconque super-héros en collant. Et pourtant, tu te sens parfois autant rejeté que si tu étais capable de créer du feu avec tes mains ou de manipuler l'esprit des gens. Ils craignent ton intelligence autant qu'ils l'admirent, ce qui revient au même principe que la mutation, la peur mêlée à une espèce de jalousie latente. Tu le connais toi-même se sentiments, tu l'as ressenti tant de fois avec ta jumelle. Tu as toujours été jalouse de ce qu'elle était, particulièrement lorsqu'elle s'est révélé être une mutante. Déjà qu'elle était absurdement parfaite à tes yeux, belles, ni trop grande, ni trop petite, ni trop bête, ni trop intelligente, entouré d'une bande d'amis fidèles pendant que toi, tu restais seule dans ton coin, elle rassemblait tout ce que tu désirais être, la normalité parfaite. Puis vint cette capacité sur-humaine, tes parents voyaient ça comme un don de dieu, toi, tu devenais étrangement l'erreur de la nature, l'anormal de votre petit clan. Ils prédisaient tous ta chute à un moment ou à un autre « elle n'est pas normal, elle finira par faire une bêtise » disaient-ils, résultat des courses, malgré la fortune de papa et maman , c'est ta soeur, Joan, qui avait dépassée un jour les limites, agacée par l'idée de ne pas trouver de travail à cause de sa mutation, déterminée à s'en sortir toute seule sans l'aide privilégiée de vos parents. Elle se retrouve en prison maintenant, toi, tu bosses pour ceux qui l'y ont mis. Ressens-tu la moindre culpabilité face à cette réalité? Difficile à dire. Tu as toujours eu du mal à interpréter tes sentiments. Tu es intelligente, tout est quantifiable à tes yeux, ton quotient intellectuel est parmi les plus élevés au monde, mais pour le reste, tout est incroyablement instable. Tu ne sais pas toujours ce qui se passe dans ton cœur, ou plutôt tu ne prends pas la peine de vraiment t'y intéresser, tu sais à quel point ça pourrait ralentir ta cadence de travail et l'évolution de ce que tu tentes de réussir depuis tant d'années. Alors tu fermes la porte de tes sentiments, tu essaie, mais c'est un fait, souvent, tu es en colère, obsessionnelle, incapable de voir le bien ou le mal, incapable d'empathie, presque naïvement cruelle.

C'est pourtant ta jumelle, vous avez un lien indéfectible, et tu vas la voir régulièrement en prison, mais c'est tout, tu n'as pas l'air de particulièrement être touché par le fait de donner l'occasion à ses geôliers de l'affaiblir et d'attraper d'autres personnes comme elle, innocentes victimes d'un système despotique. Seule tes expériences compte, tu veux trouver le moyen de contrôler la vie et la mort, de mélanger la froide technologie au battement chaud d'un coeur, le reste, ce n'est que détails, tu les ranges dans une partie de ton cerveau que tu ne visites que rarement, tu ne serais pas capable de bosser sans ça, submerger pas trop d'émotion sinon trop de questions. Où est la limite entre le bien et le mal? Vais-je trop loin? Que suis-je devenue? Que vais-je devenir? Pourquoi? Dois-je sauver ma sœur au risque de perdre des années de travail? Dois-je tout abandonner pour elle, au risque de voir ma vie à son tour perdue? Car c'est aussi ça, le but ultime, te sauver la vie. Ton état empire, jour après jour, tes os sont aussi fragiles que le verre, tout comme ta peau, tes organes, le moindre coup peut provoquer des bleus et douleurs insoutenable. Parfois, tu sens ta vue baisser, même ton ouïs, tout semble se briser en toi. C'est surement aussi pour ça que tu sors peu, que tu ne côtoies pas les gens, cette peur qui te domine depuis ton enfance, la peur de louper une marche et de te briser la colonne vertébrale, devenant impotente, la peur d'être défiguré par un coup au visage, la peur de mourir en glissant dans ta salle de bain. Tu vis avec cette crainte, la crainte d'être prisonnière de ton corps, incapable de laisser ton intelligence se nourrir de tout ce qu'il entoure. C'est pour ça que ton travail est si important, au fond, as-tu un si grand intérêt pour la vie d'autrui? Tu n'en es pas si certaine, une partie de toi se dit chaque jour que tes résultats pourraient sauver des millions de vies, une autre se rappelle que si tu as commencé, c'est avant tout pour te sauver toi. Après tout, si tu étais si altruiste, tu aurais partagé certaines de tes trouvailles, comme cet exosquelette que tu portes tous les jours et qui consolide surtout ta colonne vertébrale, combien de personnes dans le monde en auraient besoin? Combien de soldat de la Hammer serait plus fort avec? Pourtant , tu n'en as pas parlé, tu n'en as pas pris le temps, tu veux avant tout le perfectionner pour ta survie, la peur se montre bien trop présente pour que tu puisses d'un seul coup vouloir sauver le monde.

Tu n'es pas Steve Rogers, tu n'es pas Thor, tu n'es rien de tout ça, tu n'as pas leur courage et leur abnégation, tu vois le monde tel qu'il est, personne ne t'as jamais sauvé, personne n'a jamais été capable de se sacrifier pour toi, alors que tous les jours tu observais tes parents faire des pieds et des mains pour ta soeur. Alors pourquoi le ferais-tu pour eux? Toi, tu étais le second rôle de l'histoire de ta vie, celle qui reste assise au bord de sa fenêtre, à observer le monde, à le juger, sans jamais vraiment y participer, contrôlée par la crainte de la mort que tu exposes tant lorsque tu parles de religion. Tu te moques de savoir ce qui se passera après, tu ne veux pas le savoir, c'est la seule question qui ne mérite pas de réponses à tes yeux, tu veux trouver le moyen de vivre pour toujours, de ne pas être victime des années, de la maladie, de la faiblesse comme tu l'es aujourd'hui. Le reste, peu importe. Ton corps semble t'abandonner chaque jour davantage, alors que ton esprit, lui, reste vivace, plus que jamais. Tu as l'impression d'être une centenaire, sentant la fin arriver, une centenaire encore vive, capable dans son imagination de soulever des montagnes, toutefois, son corps lui rappelle sa faiblesse, son inutilité au monde , jusqu'à finalement l'abandonner un jour ou l'autre. Aujourd'hui, tu as trouvé le moyen technologique de plus ou moins renforcer tes os fragiles, de les rendre moins victimes des coups, mais tu ne peux pas vivre le reste de ta vie enfermé dans une armure imaginaire tel un Ironman immortel. Tu dois trouver la solution, pour sauver ta vie et peut-être, alors, prendras-tu un chemin plus vertueux, en attendant, peu importe les vies brisées, les vies volées, l'éthique ou même l'argent dépensé, rien n'a d'importance hormis trouver la source de cette rivière que tu t'évertues à remonter depuis tant d'années, tu veux survivre, tu penseras peut-être à vivre et à laisser vivre plus tard. Peut-être. Ou alors deviendras-tu pire? Lorsque ton corps sera l'égale de ton esprit, qu'adviendra-t-il de ton âme?... Parfois tu t'effraies. Tu te dégoûtes. D'autant plus lorsque tu continue d'avancer malgré tout ça. Docteur Jekyll & Mister Hyde, Docteur Frankenstein, innocente princesse enfermé dans sa tour d'ivoire. Qui es-tu vraiment?